La publication de décrets élargissant la possibilité d’un fichage généralisé : Vers une surveillance de Masse ?

Le 8 décembre 2020, le gouvernement a procédé à la publication en catimini de trois décrets élargissant les possibilités de fichage dans le cadre d’enquête de police, de gendarmerie ou de l’administration.

Ces décrets qui modifient l’article R236-2 et suivants du Code de la Sécurité Intérieure permettent d’accroitre considérablement les possibilités de fichage des services de police en autorisant la collecte de donnée à caractère personnelle.

Concrètement, les services de police seront désormais habilités à « recueillir, conserver et analyser les informations qui concernent les personnes susceptibles de prendre part à des activités terroristes, de porter atteinte à l’intégrité du territoire ou des institutions de la République ou d’être impliquées dans des actions de violence collectives, en particulier en milieu urbain ou à l’occasion de manifestations sportives ».

Les termes sont suffisamment vagues pour permettre aux services de police de procéder à un fichage de masse des militants politiques.

Avec ces nouvelles dispositions, il est désormais possible de ficher des individus en fonction de leurs habitudes de vie, de leurs déplacements, de leurs pratiques sportives, de leurs opinions politiques, religieuses, philosophiques ou syndicales.

Cette collecte de données individuelles est quasi illimitée puisqu’elle autorise la collecte de toutes les informations publiées sur les réseaux sociaux (commentaires, photographies…).

Selon des sources policières, il n’y aurait pas d’inquiétude à avoir puisqu’il s’agirait uniquement de fichiers de police et non de fichiers judiciaires.

Or, les moyens de contrôle sont quasiment inexistants. La Commission Nationale Informatique est censée exercer une mission de contrôle sur l’utilisation de ces fichiers. Elle a néanmoins reconnu ne pas avoir été consultée sur la possibilité de recueillir des données en fonction des activités et des opinions.

A l’occasion de la parution de ces décrets, elle a publié un avis demandant au gouvernement des précisions en raison du périmètre particulièrement large des informations collectées. Pour autant, ces décrets permettent d’encadrer juridiquement certaines pratiques officieuses.

Les justiciables peuvent ils s’opposer à ce fichage de masse ?

En principe, les justiciables peuvent contester le principe de leur inscription dans les fichiers de police.

Les personnes mises en cause peuvent déposer un recours devant le Tribunal Administratif pour obtenir l’effacement ou la rectification de certaines fiches.

En revanche, toute personne suspectée d’avoir commis un crime ou un délit qui refuserait de se soumettre à un prélèvement aux fins de conservation au fichier ou de rapprochement encourt une sanction pénale.

La Cour de Cassation a récemment rappelé que le refus de se soumettre à un prélèvement biologique ou à des relevés signalétiques peuvent être réprimées quand bien même l’infraction à l’occasion de laquelle ils devaient être réalisés a fait l’objet d’une décision de relaxe. (Cass Crim 28 octobre 2020 n°1-85.812).

Les associations de défense des libertés fondamentales ont annoncé qu’elles engageraient un recours devant le Conseil d’Etat afin de contester la légalité de ces nouvelles dispositions.

Droit de mener une vie familiale normale pour les détenus au cours de l’instruction : un vide juridique inconstitutionnel ?

Le 14 octobre 2020[1], la Chambre criminelle transmettait au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), une occurrence suffisamment peu fréquente pour être soulignée[2].

Dans les faits de l’espèce, une demande de mise en liberté formulée au cours de l’instruction avait été rejetée. La Chambre de l’instruction confirmait ce refus et l’intéressé se pourvoyait en cassation. A l’occasion de cette instance, il soulevait trois questions prioritaires de constitutionnalité. Une fois le filtre exercé par la Cour de cassation[3], l’une de ces QPC était renvoyée au Conseil constitutionnel.

La question posée portait sur les articles 22 et 35 de la loi pénitentiaire n°2009-1436 du 24 novembre 2009. La première de ces dispositions garantit le respect de la dignité et des droits de la personne détenue, n’en permettant la restriction encadrée qu’en raison des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l’intérêt des victimes. La seconde consacre le droit des personnes détenues au maintien des relations avec les membres de leur famille, notamment par le biais de visites.

Le requérant alléguait que ces dispositions portaient atteinte à la Constitution, en ce qu’elles méconnaissaient, d’une part, la compétence législative[4], et d’autre part, le droit de mener une vie familiale normale tel que garanti par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

La Cour de cassation a considéré que la question ainsi soulevée satisfaisait le critère du caractère sérieux « en ce qu’il n’existe aucune procédure permettant à la personne placée en détention provisoire de solliciter du juge d’instruction le changement de son lieu de détention, ce qui est de nature à la priver de la faculté de faire valoir une atteinte excessive portée à sa vie privée et familiale. »

Or, le droit de mener une vie familiale normale, en ce qu’il est consacré par l’alinéa 10 du Préambule de la Constitution de 1946[5], revêt une valeur constitutionnelle.

Le Conseil constitutionnel a eu l’occasion d’affirmer que son respect était reconnu « à tous ceux qui résident sur le territoire de la République [6]», incluant nécessairement les personnes détenues.

Il a également souligné qu’il appartenait au législateur, faisant usage de sa compétence législative, d’assurer la conciliation entre la prévention des atteintes à l’ordre public et le respect du droit de mener une vie familiale normale[7].

C’est précisément en cette mission que le législateur aurait, selon la QPC soulevée devant la Cour de cassation le 14 octobre dernier, échoué.

Les enjeux d’une telle QPC concernent une catégorie de personnes et un moment bien particuliers : celles qui sont détenues pendant la durée de l’instruction.   

En effet, dès lors que la phase de l’instruction est terminée et dans l’attente d’une comparution à venir devant une juridiction de jugement, l’article R.57-8-7 du code de procédure pénale permet à la direction interrégionale des services pénitentiaires d’accéder à une demande de rapprochement familial, après avis conforme du magistrat saisi du dossier de la procédure.

Rien n’est cependant prévu pendant le temps de l’instruction, lequel peut durer jusqu’à plusieurs années, puisqu’en 2018, la durée moyenne d’une période d’instruction était de 32,7 mois, soit plus de deux ans et demi[8].

Or la distance entre les détenus et leurs familles coûte à ces dernières, en temps et en frais de déplacement. En 2017, plus de la moitié des familles des personnes détenues devaient effectuer plus d’une heure de trajet pour accéder à l’établissement pénitentiaire (plus de trois heures pour 8,8% d’entre elles) et plus de 40% dépensaient une somme supérieure à 50 € pour l’effectuer[9].

La récente suppression d’un arrêt de bus desservant la maison d’arrêt de Fleury-Merogis[10], compliquant les visites, aggrave encore ce phénomène.

Les liens familiaux se distendent, s’abiment et parfois se rompent, déniant aux détenus l’effectivité de leur droit à une vie familiale normale.

L’absence de toute procédure permettant à une personne détenue de solliciter un rapprochement familial avant la fin de l’instruction la concernant pourrait donc bien être sanctionnée par le Conseil constitutionnel.

Si sa décision est encore inconnue, l’analyse de sa jurisprudence antérieure laisse entrevoir cette possibilité.

Le Conseil constitutionnel a rendu en 2019 une précédente décision QPC relative au rapprochement familial des personnes détenues[11], durant une autre phase de la procédure que celle de l’instruction.

L’Observatoire International des Prisons (OIP) soulevait l’inconstitutionnalité de l’article 34 de la loi n°2009-1436 du 24 novembre 2009, applicable aux personnes placées en détention provisoire une fois l’instruction achevée, en ce que le refus par la direction interrégionale des services pénitentiaires d’accorder un rapprochement familial, lorsqu’il était fondé sur un avis négatif du magistrat saisi du dossier, ne permettait pas l’exercice d’un recours juridictionnel effectif.

En effet, si un recours pour excès de pouvoir pouvait être effectué à l’encontre de la décision administrative prise par la direction interrégionale des services pénitentiaires, le Conseil d’Etat refusait de contrôler de façon indirecte le refus du magistrat judiciaire[12].

Dès lors, les potentielles atteintes au droit de mener une vie familiale normale ne pouvaient être contestées par les détenus, privés de tout recours juridictionnel effectif. C’est pourquoi le Conseil constitutionnel a déclaré l’article 34 de la loi du 24 novembre 2009 contraire à la Constitution.

Au regard de cette décision précédente, il apparaît que le droit de mener une vie familiale normale pour les détenus revêt un caractère d’importance pour le Conseil constitutionnel.

La QPC soulevée le 14 octobre 2020 se pose en des termes différents puisqu’elle se situe en amont : c’est l’absence même de tout dispositif procédural permettant de solliciter un rapprochement familial qui est critiqué.

Par ailleurs, la jurisprudence de la Cour européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales pourrait également peser dans la non-conformité des articles 22 et 35 de la loi du 24 novembre 2009 à la Constitution.

Bien que le Conseil constitutionnel ait originellement refusé d’opérer tout contrôle de conventionalité de la loi[13], laissant cette fonction aux juridictions administratives et judiciaires sous l’égide de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat[14], sa posture semble s’être depuis infléchie.

En effet, contrôle de constitutionnalité et contrôle de conventionalité ont un objectif commun : juger de la conformité d’une loi à une norme supérieure. Les droits et libertés figurant dans le bloc de constitutionnalité et dans la Convention se recoupent et donnent lieu à une interpénétration des systèmes jurisprudentiels : la Cour européenne effectue dans ses analyses un travail de droit – notamment constitutionnel – comparé, et le Conseil constitutionnel a également pu faire référence à certaines formules consacrées par la Cour européenne[15].

Le droit de mener une vie familiale normale de l’alinéa 10 du Préambule de la Constitution de 1946 et l’article 8 de la Convention européenne, consacrant le droit au respect de la vie privée et familiale, peuvent aisément être rapprochés.

La Cour européenne, au travers de plusieurs arrêts, a développé une jurisprudence relative à la vie privée et familiale des personnes détenues. Ainsi affirmait-elle dès 1990, sans pour autant consacrer un droit d’être détenu dans une prison donnée, qu’il était essentiel au respect de la vie familiale que l’administration pénitentiaire aide le détenu à maintenir un contact avec sa famille proche[16]. La Cour estime par ailleurs que l’interdiction des visites familiales constitue une ingérence dans le droit au respect de la vie privée et familiale[17], laquelle, si elle n’est pas systématiquement une violation de l’article 8 de la Convention, doit être strictement encadrée[18].

Si le placement en détention provisoire dans un établissement pénitentiaire peu accessible aux proches de la personne détenue n’équivaut pas à une interdiction légale d’effectuer des visites, l’impossibilité de solliciter un rapprochement familial entraîne en pratique des conséquences similaires.

La décision à venir du Conseil constitutionnel, lequel dispose pour statuer d’un délai de trois mois[19] à compter du 14 octobre 2020, ne devrait plus se faire attendre très longtemps.


[1] Chambre criminelle, 14 octobre 2020, n°20-84.086

[2] Tableaux statistiques sur les QPC soumises à la Cour de cassation – site de la Cour de cassation : en matière pénale, seulement 10% des QPC soumises à la Cour de cassation étaient transmises au Conseil constitutionnel en 2017 et seulement 15% en 2018.

[3] En vertu de l’article 23-2 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958, la Cour de cassation ne transmet une QPC au Conseil constitutionnel que si :

[4] Constitution du 4 octobre 1958, article 34

[5] Conseil constitutionnel, décision n°2003-484 DC du 20 novembre 2003

[6] Conseil constitutionnel, décision n°93-324 DC du 13 août 1993

[7] Conseil constitutionnel, décision n°2017-695 QPC du 29 mars 2018

[8] Les chiffres-clefs de la Justice 2019 – Rapport du Ministère de la Justice

[9] Enquête statistique diligentée par UFRAMA en 2017

[10] La galère des familles de détenus après la suppression d’un arrêt de bus desservant la prison de Fleury-Merogis, Le Monde, 19 septembre 2020

[11] Conseil constitutionnel, décision n°2018-763 QPC du 8 février 2019

[12] Conseil d’Etat, 9e et 10e chambres réunies, 12 décembre 2018, n°417244

[13] Conseil constitutionnel, décision n°74-54 DC du 15 janvier 1975

[14] Conseil constitutionnel, décision n°86-216 DC du 3 septembre 1986

[15] Notamment : Conseil constitutionnel, décision n°98-408 du 22 janvier 1999

[16] CEDH, Ouinas c/ France, 12 mars 1990, n°13756/88

[17] CEDH, Lavents c/ Lettonie, 28 novembre 2002, n°58442/00

[18] C’est-à-dire qu’elle doit être, cumulativement, prévue par la loi, nécessaire et proportionnée.

[19] Ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, article 23-10

Clément Abitbol : « Il ne s’agit plus de sanctionner des comportements dangereux, mais ceux suspicieux » concernant la gestion de la crise sanitaire

Le Monde du Droit a interviewé Clément Abitbol, avocat pénaliste, sur les récentes actions tentées contre l’État et ses ministres. Leur choix de gestion pourrait conduire à l’engagement d’une responsabilité pénale ?

Quelles actions ont été tentées contre l’État et ses ministres ?

Plusieurs plaintes pénales ont été récemment déposées à l’encontre de responsables politiques devant la Cour de Justice de la République, notamment contre le premier ministre Edouard Philippe ou les ministres de la santé Agnès Buzin ou Olivier Véran.

Les plaignants sont des particuliers, mais également des syndicats ou des collectifs avec des revendications ou des intentions très différentes. Il est très difficile de savoir à ce stade si ces actions seront recevables et si l’instruction de ces plaintes pourrait prendre plusieurs années.

D’autres actions judiciaires en référé ont également été intentées contre l’Etat devant les juridictions administratives. Ces actions permettent d’aboutir à des solutions plus immédiates et concrètes.

A titre d’exemple, le juge des référés de Basse Terre a récemment enjoint au centre hospitalier universitaire de Pointe à Pitre et à l’Agence Régionale de la Santé (ARS) de commander des tests de dépistage du COVID-19, ainsi que des doses d’hydroxychloroquine et azithromycine, nécessaires au traitement de ce virus.

Quels fondements de droit pénal ont été visés par ces plaintes ?

Le fondement principalement retenu par les plaignants est l’article 223-7 du code pénal : « Quiconque s’abstient volontairement de prendre ou de provoquer les mesures permettant, sans risque pour lui ou pour les tiers, de combattre un sinistre de nature à créer un danger pour la sécurité des personnes est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30.000 euros d’amende ».

Il s’agit d’un délit d’abstention volontaire qui, pour le moment, n’a quasiment jamais été appliqué. La charge de la preuve sera très difficile à rapporter. Il faudra démontrer d’une part la connaissance d’un sinistre à venir par les autorités et d’autre part une abstention volontaire de mesures prises pour y remédier.

D’autres fondements ont été invoqués, tels que l’homicide involontaire et la mise en danger de la vie d’autrui. Là encore, ces qualifications paraissent peu adaptées. Ces infractions supposent d’établir un lien de causalité entre le dommage et les vecteurs de contamination qui peuvent être multiples.

Il est encore trop tôt pour établir des responsabilités dans la gestion de l’épidémie. Certains pensent pouvoir engager la responsabilité pénale de nos dirigeants et considèrent qu’il y a eu un manque d’anticipation dans la gestion de cette crise (absence de masques, absence de respirateurs…). On assiste ainsi à une dérive où il ne s’agit plus de sanctionner les comportements dangereux, mais les comportements suspicieux. Or, des commissions d’enquêtes parlementaires seront créées afin d’établir les responsabilités et de déterminer l’existence éventuelles de fautes pénales.

Quels éléments pourraient prouver le caractère intentionnel de l’infraction ?

Dans l’hypothèse où le Ministère public déciderait d’engager des poursuites, une enquête préliminaire pourrait être ouverte afin de déterminer l’existence éventuelle d’une faute.

Les enquêteurs seraient amenés à collecter un certain d’éléments objectifs sur le degré d’information de nos responsables politiques, tels que les études scientifiques en cours précédant la pandémie, les données épidémiologiques, le témoignage des différents acteurs aux responsabilités…

Il est évidemment trop tôt pour pouvoir se prononcer sur l’existence d’une faute pénale c’est-à-dire une abstention volontaire d’agir du gouvernement.

Personne n’a vu venir l’épidémie, ni sa portée. La communauté scientifique s’est montrée divisée et incapable de prévoir la gravité de la crise qui se profilait. Un certain nombre d’États ont masqué la réalité de la situation sanitaire (notamment le gouvernement chinois).

Quelles sont les chances de succès de ces plaintes ?

Lorsque la plainte est déposée par des organisations syndicales ou des associations citoyennes, se pose d’abord un problème de recevabilité. En effet, l’article 2 du code de procédure pénale n’admet la constitution d’une partie civile que lorsque les demandeurs ont un intérêt à agir. Ceux-ci doivent avoir subi un dommage direct. A l’heure actuelle, la recevabilité des plaintes n’est pas acquise et aucune enquête préliminaire n’a été ouverte par le Procureur de la République.

Quant à leurs chances d’aboutir, elles sont très limitées et ne sont généralement pas étayées. Ces plaintes s’inscrivent généralement dans une démarche politique et militante.

Propos recueilli par Anne Claire Della Porta

Les nouveaux « Juges de Proximité », un coup de com’?

Le Chef du Gouvernement a annoncé dans son discours de politique générale son souhait d’affecter des « juges de proximité » dans les territoires pour lutter contre la répression des incivilités du quotidien.

Selon lui, une forme d’impunité judiciaire se serait installée au fil du temps dans les territoires qui se caractériserait par l’existence de petits trafics, d’insultes, de tags…

Pourtant, les statistiques démontrent que ces accusations de laxisme sont totalement infondées.

Les Magistrats prononcent des peines d’emprisonnement de plus en plus longues et les délais de détention provisoire s’allongent chaque année.

Les réformes récentes de la procédure pénale avec la diminution des seuils d’aménagement des peines à un an, la possibilité pour les juridictions de prononcer des mandats de dépôts différés ne font qu’accentuer cette tendance.

La difficulté réside plutôt dans l’appréhension des individus qui par des comportements asociaux dégradent ou détruisent le mobilier urbain et engendre un sentiment d’insécurité.

Le label « Juge de proximité » prête à confusion

Sur la forme, le label « Juge de proximité » prête à confusion. Il donne le sentiment d’un retour en arrière puisque les juges de proximité ont été supprimés en 2017.

Le Tribunal de proximité, juridiction créée par la loi Perben, avait permis la mise en place d’un nouveau corps composés de magistrats non professionnels. Ces Juges de proximité devaient décharger les Tribunaux d’Instance en traitant les petits litiges (inférieurs à 4000 € pouvant infliger des contraventions de 4ème classe).

Or, dans l’esprit du gouvernement, ces nouveaux « Juges de proximité » seront des magistrats professionnels (issus des tribunaux de police ou correctionnels), affectés dans les territoires pour siéger au plus près des citoyens dans des « chambres de proximité ». La chancellerie préfère d’ailleurs parler de « justice de proximité ».

Il s’agit ici de corriger certains effets néfastes de la réforme de la carte judiciaire ayant abouti à la fusion des Tribunaux de police, Tribunaux d’instance et Tribunaux de Grande Instance au sein d’une même entité le « Tribunal Judiciaire ».

Cette réforme destinée à rationnaliser les coûts engendrés par le service public de la justice a contribué à éloigner certains citoyens en créant des déserts judiciaires dans les territoires ruraux.

A ce titre, on ne peut qu’être favorable à l’idée selon laquelle des juges de proximité soient affectés dans les territoires.

Mais sous le vocable de « juge de proximité », il n’y a en réalité aucune nouveauté dans la mesure où des magistrats tiennent déjà des audiences en dehors des palais de Justice afin de siéger dans des chambres de « proximité ». La pratique d’audience foraine est même courante dans certains territoires.

La mission des Juges de proximité reste encore à définir

Sur le fond, la mission de ces juges de proximité reste encore à définir. Le Chef de gouvernement a évoqué dans ces incivilités des infractions variées : des injures (sanctionnés d’une simple contravention) mais aussi des délits. (comme les tags).

Or, certains délits mentionnés par le Premier Ministre ne peuvent être jugés que par des juridictions collégiales. Le sujet est sensible puisqu’instaurer des audiences collégiales détachées dans les territoires reviendrait d’une certaine manière à revenir sur la refonte de la carte judiciaire.

Le droit au déréférencement suite à une condamnation de justice

La question du droit au déréférencement s’est progressivement imposée dans la mesure où certaines informations à caractère personnel peuvent être accessibles au public sur Internet.

Certaines affaires judiciaires sont parfois évoquées sur des sites d’informations, dans la presse en ligne ou même sur les réseaux sociaux.

Si la révélation de certaines affaires peut avoir un intérêt pour le public, elles peuvent aussi porter atteinte à la vie privée et à la réputation d’un justiciable.

Durant la phase d’enquête, la présentation des faits peut être partielle, subjective ou simplement erronée. Au cours du jugement, certaines charges peuvent être abandonnées, des témoins peuvent revenir sur des dépositions ou un appel peut être interjeté par les parties…

Les informations qui subsistent sur Internet peuvent être particulièrement préjudiciables dans la mesure où elles peuvent rester plusieurs années et entraver la réinsertion d’un condamné.

Il n’existe pas à proprement parler un « droit absolu à l’oubli numérique ». Les condamnés ne peuvent donc pas exiger la suppression d’un article de presse, ou d’un contenu figurant sur un site internet.

Mais la personne mise en cause peut saisir directement un moteur de recherche d’une demande de déréférencement, afin de solliciter la suppression d’un lien.

Les exploitants des moteurs de recherche conservent une marge d’appréciation pour apprécier du bien-fondé d’une telle demande.

La demande doit être dument justifiée dans la mesure où elle ne doit pas porter atteinte à la liberté d’expression ou la liberté d’information.

Un certain nombre de critères tels que la pertinence ou l’exactitude de l’information, le contexte de la demande (dénigrement sur les réseaux sociaux par exemple…), ou l’actualité de l’information sont pris en compte.

Il s’agit d’un arbitrage entre le droit à la vie privée du demandeur et le droit à l’information du public.

Le droit au déréférencement suite à une condamnation de justice
Droit pénal général
08.06.2020
Par – Clément ABITBOL

La question du droit au déréférencement s’est progressivement imposée dans la mesure où certaines informations à caractère personnel peuvent être accessibles au public sur Internet.

Certaines affaires judiciaires sont parfois évoquées sur des sites d’informations, dans la presse en ligne ou même sur les réseaux sociaux.

Si la révélation de certaines affaires peut avoir un intérêt pour le public, elles peuvent aussi porter atteinte à la vie privée et à la réputation d’un justiciable.

Durant la phase d’enquête, la présentation des faits peut être partielle, subjective ou simplement erronée. Au cours du jugement, certaines charges peuvent être abandonnées, des témoins peuvent revenir sur des dépositions ou un appel peut être interjeté par les parties…

Les informations qui subsistent sur Internet peuvent être particulièrement préjudiciables dans la mesure où elles peuvent rester plusieurs années et entraver la réinsertion d’un condamné.

Il n’existe pas à proprement parler un « droit absolu à l’oubli numérique ». Les condamnés ne peuvent donc pas exiger la suppression d’un article de presse, ou d’un contenu figurant sur un site internet.

Mais la personne mise en cause peut saisir directement un moteur de recherche d’une demande de déréférencement, afin de solliciter la suppression d’un lien.

Les exploitants des moteurs de recherche conservent une marge d’appréciation pour apprécier du bien-fondé d’une telle demande.

La demande doit être dument justifiée dans la mesure où elle ne doit pas porter atteinte à la liberté d’expression ou la liberté d’information.

Un certain nombre de critères tels que la pertinence ou l’exactitude de l’information, le contexte de la demande (dénigrement sur les réseaux sociaux par exemple…), ou l’actualité de l’information sont pris en compte.

Il s’agit d’un arbitrage entre le droit à la vie privée du demandeur et le droit à l’information du public.

En ce qui concerne les procédures pénales, le Conseil d’Etat estime désormais que même si le référencement des données non-actualisées est légal, l’exploitant d’un moteur de recherche reste tenu d’aménager la liste des résultats en faisant fasse apparaitre au moins un lien menant vers une page web comportant des informations actualisées.

En cas de rejet de la demande, l’internaute peut faire un recours devant la Commission Nationale Informatique et liberté (CNIL) ou devant le Tribunal judiciaire de son domicile.

Quelles sont les limites de ce droit au déréférencement ?

Les Juges de la CJUE ont considéré que la possibilité de déréférencement ne pouvait s’appliquer uniquement qu’aux limites territoriales de l’Union Européenne. (CJUE, 24 juillet 2019, Google contre CNIL.)

Il n’existe donc pas de droit au « déréférencement mondial ».

Dans un arrêt en date du 27 mars 2020, le Conseil d’Etat a annulé une délibération de la CNIL ordonnant un déréférencement mondial au motif notamment « qu’aucune disposition législative ne permet une portée allant au-delà de l’Union Européenne ».

Il appartient au législateur de se saisir de cette question afin de conférer de consacrer un droit effectif au déréférencement.

Tout ce que vous voulez savoir sur le droit de retrait

Les salariés de l’usine d’Hirson (Aisne) de l’équipementier automobile AML Systems ont déposé plainte pour mise en danger de la vie d’autrui, estimant que l’entreprise prend des « risques » avec leur « santé » dans un contexte de pandémie de coronavirus. L’occasion de faire le point sur le droit de retrait avec l’avocat pénaliste Me Clément Abitbol.

Que dit le code pénal sur la mise en danger de la vie d’autrui ?

Le délit de mise en danger d’autrui défini à l’article 223-1 du code pénal est défini « comme le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ».

Il faudra d’abord établir la violation d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou un règlement. Or, le gouvernement n’a pas pris aucune mesure prohibant l’exercice d’une activité professionnelle.

De plus, la responsabilité pénale de l’équipementier automobile ne pourra être engagée qu’à condition de pouvoir caractériser le risque de danger immédiat de mort ou de blessures graves au regard des données épidémiologiques connues.

Enfin, les salariés devront établir un lien de causalité direct entre une contamination d’un salarié et l’origine de la contamination ce qui est quasi impossible à démontrer à l’heure où les vecteurs de contamination peuvent être multiples.

Quels sont les précédents dans les entreprises ?

Oui, il existe des situations dans lesquelles certaines entreprises ont été condamnées pour mise en danger de la vie d’autrui.

Une entreprise a ainsi été condamnée pour avoir exposé ses salariés à des poussières d’amiante sans avoir mis en œuvre les protections nécessaires. (Cass crim. 17 avril 2017).

Dans cet exemple, la Cour de Cassation a motivé sa décision en se fondant sur l’état des données de la science avant cette exposition, l’exposition au risque anormal se suffisant à lui-même.

De quoi est punie l’infraction ?

L’infraction de mise en danger de la vie d’autrui est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende selon le code pénal

La procédure peut-elle être généralisée ?

L’action intentée par les syndicats de l’usine d’Hirson est vouée à l’échec sur le plan procédural, dans la mesure où l’Etat encourage la poursuite de l’activité économique et n’a pas ordonné la fermeture des chaines de production.

L’équipementier est tenu par une obligation de moyens. Il doit à ce titre prendre toutes les mesures utiles pour préserver la santé de ses salariés. (mise en place de mesures barrières, prise de température des salariés…).

Le gouvernement n’ayant pris aucune mesure prohibant l’exercice d’une activité professionnelle, la question se pose du maintien ou non de la production économique » à propos des contaminations de salariés d’Amazon à Bretigny-sur-Orge et Saran

Le Monde du Droit a interrogé Clément Abitbol, avocat pénaliste, et Julien Tampe, avocat en droit du travail, sur les contaminations de salariés sur les sites Amazon de Bretigny-sur-Orge et de Saran.

La CGT et la CFDT ont déposé plainte pour « mise en danger de la vie d’autrui » à l’encontre de la direction d’Amazon. Cette action a-t-elle une chance d’aboutir ?

Le délit de mise en danger d’autrui est défini à l’article 223-1 du code pénal. Il exige l’établissement de la violation d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou un règlement. Or, en continuant son activité, l’entreprise ne viole aucune loi ou règlement.

En matière pénale, il faudra également démontrer le caractère intentionnel, le texte se référant à une violation manifestement délibérée.

En poursuivant le raisonnement, il faudrait établir que la société Amazon a volontairement, et en connaissance de cause, mis ses salariés en danger, par exemple, en exigeant la fourniture de services dans des zones déterminées à risque et sans protection. Or, il existe très peu de zones spécifiquement à risque et des équipements de protection restent disponibles.

De plus, la responsabilité pénale de l’entreprise ne pourra être engagée qu’à condition de pouvoir caractériser le risque de danger immédiat de mort ou de blessures graves au regard des données épidémiologiques connues.

Enfin, les salariés devront établir un lien de causalité direct entre une contamination d’un salarié et l’origine de la contamination, ce qui est quasi impossible à démontrer à l’heure où les vecteurs de contamination peuvent être multiples.

La Direction de l’Entreprise doit-elle procéder à la fermeture de l’ensemble de ses sites pour protéger ses salariés ?

Il n’existe aucune disposition légale obligeant l’employeur à fermer un site en raison d’une contamination au Covid-19 sur tel ou tel site. En revanche, il doit veiller à la sécurité de ses employés et dans ce cas précis, la question pourrait se poser.

Les salariés peuvent-il refuser de se rendre à leurs postes de travail ?

Le salarié peut se retirer d’une situation « s’il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection ».

Le droit de retrait ne peut pas être sanctionné par l’employeur, sauf si celui-ci démontre que la situation ne présentait pas de danger grave et imminent ou qu’il a pris toutes les dispositions envisageables pour protéger le salarié du risque qu’il peut encourir.

Bien entendu, si l’employeur est en mesure de le démontrer, il pourra prononcer une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement pour abandon de poste.

La contamination au Covid-19 peut-elle être qualifiée d’accident du travail ou maladie professionnelle ?

Tout salarié victime d’un accident ou d’une maladie professionnelle au temps et lieu de travail peut engager la responsabilité de son employeur devant le Pôle social du Tribunal.

La maladie professionnelle est associée à une activité précise et répertoriée dans un registre spécifique. Or, le Covid-19 ne fait partie, à ce jour, d’aucun tableau de maladie professionnelle. La contamination pourrait donc être qualifiée uniquement d’accident du travail.

Qui a autorité pour faire respecter la sécurité des salariés ?

Les salariés, les institutions représentatives du personnel, ou les syndicats peuvent saisir l’inspection du travail ou même le médecin du travail. L’administration peut diligenter une enquête et se rendre sur le site afin de constater le respect des règles de sécurité.

A l’issue de cette enquête, l’administration peut prendre des sanctions pécuniaires ou ordonner des mesures de correction, y compris sous astreinte. A défaut d’exécution de ces recommandations, l’invocation du droit de retrait par les salariés pourrait être justifié, sans compter les amendes qui pourraient être prononcées. L’inspection pourrait également signaler les faits à l’autorité préfectorale qui dispose d’un pouvoir de fermeture issu de la loi d’urgence sanitaire.

Les syndicats ont d’ailleurs saisi à plusieurs reprises l’inspection du travail qui a rendu des avis contradictoires. L’inspection du travail a enjoint la direction des sites de Saran et de Brétigny-sur-Orge de mettre un terme aux situations dangereuses dans un délai de 4 jours.

Dans quelles conditions un site pourrait-il faire l’objet d’une fermeture administrative ?

La fermeture administrative, telle qu’envisagée par notre droit, concerne les restaurants et débits de boissons ou tout commerce assimilé. On ne peut donc pas prévoir de fermeture de cette nature.

En revanche, l’état d’urgence sanitaire, voté par l’Assemblée Nationale le 23 mars 2020, a prévu une disposition très large permettant d’envisager une telle possibilité. Sur le fondement de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique, le ministre (ou le préfet par délégation) pourrait prendre un arrêté de fermeture « afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population ».

Le juge des référés peut-il fermer un site qui méconnaîtrait les dispositions légales et réglementaires ?

En l’état actuel du droit, seul le ministre (ou le préfet par délégation) peut prendre une telle décision.

Propos recueillis par Anne Claire Della Porta

Coronavirus : l’entreprise Amazon met-elle en danger la vie d’autrui?

Une plainte a été déposée contre Amazon pour mise en danger de la vie d’autrui face au risque de contamination par le coronavirus. Une condamnation est-elle possible ?

Après plusieurs cas de salariés testés positif au coronavirus, les employés américains d’Amazon contestent eux aussi les conditions de travail dans les installations de distribution de la société et ont organisé une manifestation et un débrayage, le 30 mars 2020 à New York.

Tous confinés ? Pas pour les employés d’Amazon. Les syndicats de l’entreprise dénoncent les conditions de travail dans les entrepôts du géant de la distribution en ligne: absence de protection (gants, masques, gel hydro-alcoolique), vente de produits qui ne sont pas de première nécessité, infection de plusieurs employés… Face à l’absence de mesures de protection et au refus par la direction de l’exercice par les salariés de leur droit de retrait, la CGT a déposé plainte contre X pour mise en danger de la vie d’autrui.

La situation dans laquelle Amazon place ses employés est-elle constitutive d’une infraction ?

Le délit de mise en danger d’autrui défini à l’article 223-1 du code pénal est défini “comme le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement”.

Il faudra d’abord établir la violation d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou un règlement. Or, le gouvernement n’a pris aucune mesure prohibant l’exercice d’une activité professionnelle. En continuant son activité, Amazon ne viole aucune loi ou règlement.

«Le simple fait de ne pas mettre à disposition des employés assez de masques, gel, gants ne peut être constitutive d’un délit.»

Pour caractériser ce délit, la simple transgression d’une obligation de prudence ou de sécurité ne suffira pas à engager la responsabilité de son auteur. Un excès de vitesse de 30 ou 40 km/h sur une autoroute ne suffit a priori pas à caractériser le délit, alors qu’un même excès de 30 ou 40 km/h en ville ou à proximité d’une école, pourrait provoquer des poursuites de ce chef. Cela dépend donc tout particulièrement des circonstances précises et locales et non pas de circonstances générales.

Ce qui veut dire que le simple fait de ne pas mettre à disposition des employés assez de masques, gel, gants ne peut être constitutive d’un délit.

En matière pénale, il faudra également démontrer le caractère intentionnel, le texte faisant référence à une violation manifestement délibérée.

En poursuivant le raisonnement, il faudrait établir que la société Amazon a volontairement, et en connaissance de cause, mis ses salariés en danger, par exemple, en exigeant la fourniture de services uniquement dans des zones déterminées comme étant à risque et sans protection. Or, il n’existe pas (ou très peu) de zones spécifiquement à risque et des équipements de protection restent disponibles même s’ils sont en tension sur le marché.

De plus, la responsabilité pénale de l’entreprise ne pourra être engagée qu’à condition de pouvoir caractériser le risque de danger immédiat de mort ou de blessures graves au regard des données épidémiologiques connues.

Enfin, les salariés devront établir un lien de causalité direct entre une contamination d’un salarié et l’origine de la contamination ce qui est quasi impossible à démontrer à l’heure où les vecteurs de contamination peuvent être multiples.

«Les salariés devront établir un lien de causalité direct entre une contamination d’un salarié et l’origine de la contamination ce qui est quasi impossible à démontrer.»

Il est donc peu probable que l’entreprise Amazon soit poursuivie sur le fondement de la “mise en danger de la vie d’autrui” tant les éléments constitutifs de l’infraction sont difficiles à démontrer.

Pour les mêmes raisons, la responsabilité pénale du chef d’entreprise ne pourra être engagée que s’il est démontré qu’il n’a pas mis en œuvre toutes les mesures utiles pour protéger ses salariés.

L’infraction de mise en danger de la vie d’autrui est punie d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende selon le code pénal.

Les entreprises doivent prendre toutes les mesures utiles pour préserver la santé de leurs salariés

L’entreprise Amazon, comme toute autre entreprise, est responsable de la santé et de la sécurité de ses salariés.

Certains salariés ont été invités à poursuivre leur activité sous la forme de télétravail conformément aux recommandations du gouvernement. Toutefois, certains postes exigent la présence physique des salariés.

L’entreprise peut donc légalement poursuivre son activité selon les recommandations même du gouvernement. Toutefois, ce maintien de l’activité se fait à ses risques et périls.

Elle est tenue par une obligation de moyens renforcée et doit à ce titre prendre toutes les mesures utiles pour préserver la santé de ses salariés.

Les mesures utiles s’entendent différemment selon l’activité de l’entreprise. Il peut s’agir d’aménagement des postes de travail (mise en place de mesures barrières, équipements, écrans, éloignement …) ou d’information ou de sensibilisation à des consignes de travail.

«Le droit de retrait se distingue de l’abandon de poste et il ne peut pas être sanctionné par l’employeur sauf si celui-ci démontre que la situation ne présentait pas de danger grave et imminent.»

De son côté le salarié peut faire usage de son droit de retrait, prévu par l’article L4131-1 du Code du travail. Ces dispositions prévoient que le salarié peut se retirer d’une situation “s’il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection”.

Le droit de retrait se distingue donc de l’abandon de poste et il ne peut pas être sanctionné par l’employeur sauf si celui-ci démontre que la situation ne présentait pas de danger grave et imminent ou qu’il a pris toutes les dispositions envisageables pour protéger le salarié du risque qu’il peut encourir.

Bien entendu, si l’employeur est en mesure de le démontrer, il pourra prononcer une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement pour abandon de poste. C’est le Conseil des prud’hommes qui, le cas échéant, tranchera le litige, y compris en la forme des référés dans certains cas.

Les représentants du personnel ont le pouvoir de déclencher un droit d’alerte et de saisir l’Inspection du travail afin qu’elle diligente un contrôle et si nécessaire qu’elle ordonne des mesures de sauvegarde complémentaires.

C’est précisément dans ce cadre que l’entreprise Amazon a été contrôlée par l’administration qui a pris des positions contradictoires, preuve de la difficulté d’apprécier réellement le respect de l’obligation de moyen qui pèse sur la société. Il faut toutefois souligner que cela n’éteint pas le contentieux sur d’éventuels droit de retrait invoqués par les salariés car il s’agit surtout d’un droit individuel attaché à une situation très précise. L’administration peut en effet constater la réalité des mesures prises en général et malgré tout il peut, à tel endroit et à tel moment, manquer un équipement.

«Le risque épidémique ne peut pas constituer un danger grave et immédiat dans tous les cas de figure»

Le gouvernement a procédé à des fermetures administratives pour des commerces recevant du public mais n’a pas pris de mesure de fermeture générale. Dans ces conditions, à l’exception des entreprises qui reçoivent du public, le risque et sa prévention sont laissés à l’appréciation de l’employeur.

Dans la crise sanitaire actuelle, l’employeur doit tout mettre en œuvre pour limiter le contact entre les salariés et le cas échéant les clients. C’est notamment le cas dans les grandes surfaces, dont la fermeture est à l’évidence inenvisageable. L’employeur doit tout mettre en œuvre pour limiter ces contacts (port de gants, de masque, mise en place de barrière en plexiglas notamment).

«On peut considérer que, dans la période présente, les sociétés qui poursuivent leurs activités doivent s’inspirer des entreprises qui, tout au long de l’année, évoluent dans un univers dangereux.»

Cela ne signifie pas que le risque disparaît, le salarié continue de travailler dans un environnement dangereux mais l’entreprise met tout en œuvre pour limiter l’exposition au risque.

On peut considérer que, dans la période présente, les sociétés qui poursuivent leurs activités doivent s’inspirer des entreprises qui, tout au long de l’année, évoluent dans un univers dangereux.

Selon les chiffres publiés par le Ministère du travail, 20% de la main d’œuvre nationale est au chômage partiel, ce qui signifie, a contrario, que 80% de celle-ci poursuit son activité.

Il est donc raisonnable de penser que le risque épidémique (réel) ne peut pas constituer un danger grave et immédiat dans tous les cas de figure. Ce sera au cas par cas, en fonction de l’activité et des mesures prises par l’entreprise pour faire face au danger, que ce risque peut devenir (ou pas) grave et imminent au sens du droit du travail.

L’ouvrier du bâtiment évolue constamment dans une situation dangereuse, de même que l’ambulancier ou le technicien d’une centrale nucléaire et pourtant ils ne peuvent pas faire valoir leur droit de retrait a priori (sauf si les équipements dont ils ont besoin et la formation obligatoire font défaut).

«Les équipements doivent être fournis, la formation dispensée et le respect des mesures de protection contrôlée de façon spécifique.»

Dès lors, pour poursuivre son activité économique dans la situation présente, il convient de s’aligner sur le triptyque: équipements, formation, contrôle.

Les équipements doivent être fournis, la formation dispensée et le respect des mesures de protection contrôlée de façon spécifique. L’employeur doit pouvoir justifier de la réalité des contrôles des mesures de protection dont le non-respect par les salariés pourrait entraîner des sanctions disciplinaires. Cette obligation de moyens renforcée peut par exemple justifier l’emploi d’agent de surveillance et de contrôle ou la mise en place d’équipes tournantes voire de réduction du temps de travail, selon les sites ou les entrepôts.

En résumé, l’entreprise doit tout mettre en œuvre pour protéger ses salariés d’une contamination potentielle. Cependant le risque zéro n’existant pas, l’employeur doit s’assurer d’avoir pris toutes les dispositions utiles pour limiter le risque. Il devra pouvoir en justifier et c’est sur lui que pèsera la charge de la preuve et le risque de la preuve.

Par Clément Abitbol et Julien Tampe

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